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Les mots-flots
poezii [ ]

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di [Roland_Giguère ]

2010-10-02  | [Aestu textŭ lipseashti s-hibâ dghivâsitŭ tu francais]    |  Ânyrâpsitŭ tu bibliotecâ di Guy Rancourt



Les mots-flots viennent battre la plage blanche
où j’écris que l’eau n’est plus l’eau
sans les lèvres qui la boivent

les mots-flots couronnant le plus désertique îlot
le lit où je te vois nager la nuit
et la paupière qui te couvre comme un drap
au versant abrupt du matin
quand tout vient se fracasser sur la vitre

les mots-flots qui donnent aux ruisseaux
cette voix mi-ouatée qu’on leur connaît
voix miroitée
vois comme je te vois moi pourtant ferme les yeux
sur le plus fragile de tes cheveux
moi qui ferme les yeux sur tout
pour voir tout en équilibre
sur la pointe microscopique du cœur
pointe diamantée des dimanches hantés
dis à m’enchanter et jusqu’à m’en noyer
de ces longs rubans de mots-flots
que tu déroules le soir entre tes seins
comme si tout un fleuve rampait à tes pieds
comme si les feuilles n’avaient pour les bercer
d’autre vent que celui de tes cils de soie lactée

les mots-flots toujours les mots-flots
sur le sable la mariée toute nue
attend la grande main salée de la marée
et un seul grain de sable déplacé démasque soudain
la montagne de la vie
avec ses pics neigeux ses arêtes lancinantes
ses monts inconquis ses cimes décimées

un seul grain de sable et ce sont aussitôt
des milliers de dunes qui apparaissent
puis des déserts sans mirages
un sphinx d’ébène
et trois cents pyramides humaines mortes de soif

un seul grain de sable et la mariée n’est plus à elle
ne s’appartient plus
devient mère et se couche en souriant
comme un verre renversé perd son eau
et les mots-flots envahissent la table
la maison le champ
le verre se multiplie par sa brisure
et le malheur devient transparent
semblable au matin qui entre
par le coin le plus mince d’un miroir sans tain.

(Roland Giguère, Les armes blanches, 1954)

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