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Chanson de la chance
poezii [ ]

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di [Kahlil_Gibran ]

2009-02-20  | [Aestu textŭ lipseashti s-hibâ dghivâsitŭ tu francais]    |  Ânyrâpsitŭ tu bibliotecâ di Guy Rancourt



L’homme et moi sommes fiancés.
Il m’implore et je le désire,
Mais hélas ! Entre nous est apparue
Une rivale qui nous apporte le malheur.
Elle est cruelle et exigeante,
Elle possède un leurre vide.
Son nom est Matière.
Elle nous suit où que nous allions
Et nous observe comme une sentinelle, apportant
L’inquiétude à mon amant.

J’appelle mon bien-aimé à travers la forêt,
Sous les arbres, près des lacs.
Je ne puis le trouver, car la Matière
L’a attiré dans la ville
Bruyante et l’a placé sur le trône
Des tremblantes richesses de métal.

Je l’appelle avec la voix
Du savoir et le chant de la Sagesse.
Il n’écoute pas, car la Matière
L’a attiré dans le donjon
De l’égoïsme, où réside la convoitise.

Je le cherche dans le champ de la Félicité,
Mais je suis seule, car ma rivale l’a
Emprisonné dans la caverne de la gourmandise
Et de l’avidité, et l’y a enfermé
Avec de douloureuses chaînes d’or.

Je l’appelle à l’aube, quand la Nature sourit,
Mais il n’entend pas, car l’excès a
Alourdi ses yeux drogués d’un sommeil malade.

Je le charme le soir, quand le Silence est maître
Et que les fleurs dorment. Mais il ne répond pas,
Car sa peur de ce que le lendemain
Apportera ombrage ses pensées.

Il brûle de l’envie de m’aimer;
Il me réclame dans ses actes. Mais il
Ne me trouvera pas sinon dans les actes de Dieu.
Il me cherche dans les édifices de sa gloire
Qu’il a construits sur les os des autres;
Il murmure vers moi depuis
Ses monceaux d’or et d’argent;
Mais il ne me trouvera qu’en venant à
La maison de la Simplicité que Dieu a construite
Au bord de la rivière de la tendresse.

Il désire m’embrasser devant ses coffres,
Mais ses lèvres n’ont jamais touché les miennes sinon
Dans la richesse de la brise pure.

Il me demande de partager avec lui ses
Richesses fabuleuses, mais je ne renoncerai pas à la fortune
De Dieu; je ne repousserai pas mon manteau de beauté.

Il a recours à la fourberie; je ne recherche que
La voie de son cœur.
Il meurtrit son cœur dans sa cellule étroite;
Je voudrais enrichir son cœur avec mon amour.

Mon bien-aimé m’a appris comment crier et
Pleurer vers mon ennemie, la Matière; je voudrais
Lui apprendre comment verser les larmes de la tendresse
Et la pitié des yeux de son âme
Pour toutes choses,
Et émettre des soupirs de béatitude à travers
Ces larmes.

L’homme est mon fiancé;
Je veux lui appartenir.

(Khalil Gibran, Larme et sourire, 1914)

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