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Salomé* à une amie
poezii [ ]

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di [Kahlil_Gibran ]

2009-02-22  | [Aestu textŭ lipseashti s-hibâ dghivâsitŭ tu francais]    |  Ânyrâpsitŭ tu bibliotecâ di Guy Rancourt



Il était comme des peupliers chatoyant au soleil;
Et comme un lac au sein des collines solitaires,
Luisant au soleil;
Et comme la neige sur les sommets des montagnes,
Blanche, blanche au soleil.

Oui, il était pareil à tout cela,
Et je l’aimais.
Cependant je craignais sa présence,
Et mes pieds refusaient de porter mon fardeau d’amour
Afin de ceindre ses pieds de mes bras.

Je lui aurais dit :
« J’ai tué ton ami en un moment de passion.
Me pardonneras-tu mon péché ?
Et ne libères-tu pas, par miséricorde, ma jeunesse
De son acte aveugle,
Afin qu’elle marche dans ta lumière ? »

Je sais qu’il m’aurait pardonné d’avoir dansé
Pour la tête sacrée de son ami.
Je sais qu’il aurait vu en moi
Un objet de son propre enseignement.
Car il n’y avait aucune vallée de faim qu’il ne pût franchir,
Ni aucun désert de soif qu’il ne pût traverser.

Il était tout comme les peupliers,
Comme les lacs au sein des collines
Et pareil à la neige sur le Liban.
Et j’aurais rafraîchi mes lèvres dans les plis de son habit.

Mais il était loin de moi,
Et j’avais honte.
Et ma mère me retenait,
Quand le désir d’aller à sa recherche planait sur moi.

Lorsque je le voyais passer, mon cœur brûlait pour sa beauté.
Mais ma mère le regardait avec mépris en fronçant les sourcils.
Elle m’entraînait de la fenêtre jusqu’à ma chambre
Et elle criait, disant :
«Qui est-il, si ce n’est encore un autre mangeur de sauterelles venant du désert ?
Qui est-il, sinon un railleur et un renégat,
Un séditieux marchand d’émeutes, qui veut nous dérober sceptre et couronne
Et donner l’ordre aux renards et aux chacals de sa terre maudite
De hurler dans nos cours et de s’asseoir sur notre trône ?
Va cacher ton visage à partir d’aujourd’hui,
Et attends le jour où sa tête tombera,
Mais non sur ton plateau.»

Ainsi parlait ma mère.
Mais mon cœur ne retenait pas ses paroles.
Je l’aimais en secret,
Et mon sommeil était ceint de flammes.

À présent, il est parti.
Et quelque chose qui était en moi est parti aussi.
Peut-être était-ce ma jeunesse
Qui ne voulait pas s’attarder ici,
Depuis que le Dieu de la jeunesse fut tué.

* Fille d’Hérodiade et belle-fille d’Hérode Antipas, Salomé obtint la tête de Jean-Baptiste après avoir dansé.

(Khalil Gibran, Jésus, Fils de l’Homme, 1928)

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